Sandrine Codis, astrophysicienne dans le service « Cosmologie et Évolution des Galaxies » du Département d’Astrophysique (DAp) // UMR AIM de l’Irfu vient de recevoir la bourse européenne « ERC Starting Grant» pour son projet COLIBRI.
La cosmologie entre dans une nouvelle ère que l’on peut nommer l’ère de la cosmologie de haute précision avec des études révolutionnaires visant à cartographier la matière noire à différentes époques de notre histoire cosmique afin de cerner la nature de l’énergie noire. Le satellite spatial européen Euclid mesurera les paramètres cosmologiques avec une précision sans précédent (environ 1% sur l’équation d’etat de l’energie sombre).
Pour atteindre cet objectif ambitieux, un certain nombre de sources d’erreurs systématiques doivent être quantifiées et comprises. Le projet COLIBRI propose de contrôler de manière rigoureuse l’effet de la matière visible (les baryons) sur l’analyse conjointe des données relatives aux deux sondes cosmologiques principales que sont les effets des lentilles gravitationnelles faibles et le « clustering » des galaxies (c’est-à-dire leur distribution spatiale)
La matière noire est une composante majeure de l’Univers, plus de six fois plus abondante que la matière visible ordinaire. Elle a pour particularité de n’émettre aucun rayonnement et de n’interagir que par l’action de la gravité. Pour découvrir sa distribution dans l’espace, les astronomes utilisent la déviation de la lumière qu’elle produit par sa propre gravité, un effet baptisé « lentille gravitationnelle ». La lumière des galaxies lointaines voyage dans l’espace et traverse sur le chemin des concentrations de matière (amas de galaxies, filaments cosmiques, …) avant de nous atteindre. La trajectoire de la lumière est alors légèrement déviée et cette infime déviation nous renseigne sur la distribution et la quantité de matière traversée, qu’elle soit visible ou invisible.
Ce sont ces distorsions gravitationnelles qui permettent d’établir la carte de la matière noire dans notre histoire cosmique. La connaissance de la distribution de la matière noire dans l’espace est indispensable pour comprendre comment les galaxies se forment et évoluent dans l’univers.

Cependant, les observables de nos télescopes sont toujours liés à la matière « visible » (baryons), qui est un traceur biaisé de la matière noire.
En effet, les baryons sont sensibles à une physique plus riche et complexe que la matière noire (c’est-à-dire gravitation) comme les effets thermodynamiques, chauffage, refroidissement, chocs, naissance d’étoiles et de leurs vents stellaires, de trous noirs et de leurs jets, et ces effets ont une signature y compris aux échelles cosmologiques.
De plus, ces baryons ont un effet sur la distribution de la matière noire elle-même via la gravitation.

Ainsi, la physique des baryons a donc un impact significatif sur la distribution de matière totale dans l’Univers (telle que sondée par l’effet de lentille gravitationnelle) et sur celle des galaxies qui sont les deux observables principales pour sonder la cosmologie avec les grands relevés de galaxies.
Même si notre Univers est dominé par la matière noire (25%) et l’énergie noire (70%), les baryons (la matière « visible » classique, 5%) représentent une source majeure de biais systématiques qui affectent considérablement les sondes cosmologiques et pourraient engendrer des erreurs de mesures importantes sur les paramètres du modèle cosmologique, faussant alors nos interprétations théoriques. Ils pourraient notamment engendrer des tensions apparentes, dont certaines sont déjà observées, entre les différentes études et sondages cosmologiques.

Le projet COLIBRI propose de contrôler de manière rigoureuse l’effet des baryons sur l’analyse conjointe des données relatives aux lentilles gravitationnelles faibles et à l’agrégation des galaxies à l’aide
- de nouveaux modèles théoriques des grandes structures de l’Univers permettant de saisir efficacement le contenu informationnel cosmologique à des échelles légèrement non linéaires plus petites que ce que l’on sait faire actuellement
- de nouvelles simulations hydrodynamiques résolvant avec précision la physique baryonique à l’intérieur de volumes d’une ampleur sans précédent (de plusieurs milliards d’années lumière de coté) , rendues possibles par des techniques de simulation innovantes (« multi-zooms ») et l’évolution des ressources informatiques en Europe à l’ère de l’exascale.
Ces simulations et modèles théoriques permettront une caractérisation robuste des baryons à l’échelle cosmologique, afin d’interpréter avec suffisamment de précision les grands relevés galactiques actuels (DESI) et futurs (Euclid, Vera Rubin). Cet effort est crucial pour tirer le meilleur parti des riches ensembles de données qui seront observés, en particulier les prochaines publications de données d’Euclid.
Contact : Sandrine CODIS


